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L’envol des mots

Ce matin, encore une fois, les mots couchés sur le papier n’y restent pas. Leur envol est presque immédiat. Je relis et je ne vois plus ces mots précieux choisis mais ceux qui se sont tus, trop discrets, ceux qui ont fuit, trop peureux, ceux qui n’ont juste pas pu, trop empêchés…
Il ne reste plus que les fils invisibles de ces mots plein de promesses, de ceux qu’on devine, qu’on imagine, qu’on interprète, qu’on édulcore, qu’on amplifie… Et ce sont ces mots là qui restent. Ce sont eux qui nous lient à l’écriture d’une manière si singulière. Quand on ne peut pas raconter vraiment ce qui nous a touché dans un texte, une poésie, un roman… On est juste traversé, embarqué, quelque fois anesthésié… Quand on est pris dans les mailles de ces fils invisibles, perdus entre les lignes, on touche à un instant précieux, cet instant présent, qui est fait de bien plus que de quelques mots couchés sur le papier…

Depuis trois ans, ces instants présents se sont multipliés à moi, comme des petits pains.

Les mots sont depuis toujours, une seconde maison. Il y a mon corps et les mots qui y habitent. Les mots sont d’une telle force qu’ils sont venus baliser mon choix de métier, comme une évidence. Recevoir des mots, les entendre, les mettre en relief, en mouvement, en lumière est une voie d’entrée pour dire les maux qui malmènent, qui entravent, qui font chuter, ou font se parachuter… Ces mots porteurs de valises, porteurs de non-dits, ces mots lourds donc, viennent signifier ce par quoi nous sommes habités. Et parfois, on n’est plus maître chez soi. Les mots, leurs silences aussi prennent le pouvoir et font de nous des marionnettes d’un jeu dont on est le héros malgré soi.
Les mots nourrissent autant qu’ils détruisent. Leur dualité est infinie, elle est belle, et cruelle, elle est magique, et terre à terre, poétique et académique. Il faut juste parfois éclairer leurs ombres, sans vouloir toutes les comprendre ou les résoudre. Accepter leurs présences en pleine conscience. Arrêter de vouloir s’extraire de ces fils invisibles. Faire d’eux des leviers, des boucliers armés de nos vies. Ecouter son propre langage, accepter ses mots, c’est en fait accepter ses maux… S’accepter. Tout simplement. Etre libre, n’est sûrement pas d’enlever ses chaînes, mais juste de les accepter pour les prendre en compte… Alors depuis plus de vingt ans, je suis une liseuse de mots, et de maux. Et j’accepte avec ces autres que j’accompagne, être une femme pleine de trous entre les mots… Pour moi, pour eux… Pour eux, pour moi…

Alors que les mots sont ma force, ma source, ma fragilité et mon équilibre, je n’ai jamais eu l’envie, l’idée même, de les coucher sur le papier autrement que par des prises de notes, d’analyses fugaces. Des cahiers entiers noircis d’instants fragiles, pris au vol d’une pensée, face à ceux qui se confient, qui se délient, qui se donnent…
Pourtant, un matin, il y a trois ans, au réveil, je comprends qu’un autre personnage de mon monde intérieur est venu parler, en songe, un langage que je ne connaissais pas encore… Celui d’auteure…
Un rêve, comme une métaphore, une fenêtre sur un possible inexploité. J’écrivais le début d’une histoire, d’un roman, qui ne cessa de me titiller les nombreux jours suivants. Cette héroïne entrevue en songe insistait, elle frappait sans discontinuer, à la porte de mon monde. Elle avait besoin que je poursuive sa vie, celle qu’elle m’avait permise d’entrevoir une nuit… Celle-ci ne pouvait s’arrêter là, comme ça… Juste parce que je m’étais réveillée ! Elle s’appelle Annabelle, mais je ne le savais pas encore…
Sans en comprendre vraiment l’intention, l’enjeu, la vérité, je me suis mise à écrire la suite de cette histoire entraperçue. D’abord, j’ai posé les mots qui me restaient de mon rêve, étonnement précis. Puis la magie a opéré, telle une fée ou une voleuse, elle a oeuvré de nombreuses semaines, m’incitant à ne plus vouloir quitter ce nouveau monde, fait pourtant de mots, mais encore tellement inconnus pour moi… J’étais prise dans les filets de cette maille invisible que la jeune Annabelle venait de tisser pour elle et pour moi. Comme spectatrice de la naissance d’une vie, je mesurais la chance d’être à ses côtés, d’être le témoin d’une réalité : la sienne. Elle existait, ses mots, les siens, étaient posés là tels des petits cailloux. Son chemin de vie s’écrivait sous mes doigts et les larmes coulaient sur mes joues… Je n’interprétais plus les mots et leurs silences. Ils étaient là, parce qu’ils ne pouvaient être ailleurs. Je prenais du souffle, je vivais ces moments comme des cadeaux qu’on ne cherche pas à justifier, à mériter, encore moins à rendre. Prise dans cette vague, je me suis laissée embarquer, sans retenue, par ce flots de mots qui me dépassaient, qui me transcendaient.
Annabelle était née. L’auteure en moi aussi.

L’écriture s’impose depuis, non pas comme une urgence, ni un devoir, mais une vérité. La mienne. Je suis auteure. Il y a trois ans, je l’ignorais encore. Aujourd’hui, je ne peux que l’accepter comme l’expression de mon identité, de mon être, de ma voix… de ma voie.
Il y a le corps et les mots qui le font vibrer. Je prends tout. Je n’ai pas peur. Je suis portée. La vie a fait il y a trois ans, pour moi, un ricochet qui ne cesse de faire écho… Et cet écho est beau. Je vibre. Je m’incline. J’écris. Merci.

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2 Responses

  1. Bonjour Régine , je vous ai laissé un mot sur votre facebook je ne sais pas si vous l’ avez lu .
    L’on s’est croisé sur la commune de Riantec lors de l’ achat d’ un de vos livre .
    Je vous ai demandé de me choisir un livre sur les 4 que vous me proposiez .
    Vous m’avez choisi Suspendue au fil de mon passé .
    Annabelle m’ a beaucoup ému.
    Nous avons aussi perdu un enfant ( hélas ce n’est pas un roman) donc au début c’était un peu difficile .
    Mais cette rencontre entre Annabelle et sa jumelle fut grandiose, elle m’ a beaucoup ému .
    Pour tout vous avouer j’ ai eu larme à l’oeil , je crois que c’est la deuxième fois qu’un livre m’émeut à ce point.
    Pour Noel évidemment j’ai demandé à mes enfants la suite des aventures d’Annabelle avec Comme si le bonheur pouvait s’écrire . Vous êtes mon écrivaine de l’année 2022 et quelle belledécouverte .
    Comme quoi les rencontres sont belles quelques fois , pourvu que cela dur….
    Je vous souhaite de bonnes fêtes de fin d’année Régine.

    1. Bonsoir Dominique,
      je dois dire que je suis vraiment touchée par votre retour très émouvant concernant la rencontre avec mon Annabelle, ma première héroïne riche à mon coeur. La perte d’un enfant laisse une trace indélébile, je partage votre émotion et celle qu’elle laisse en vous. Je vous remercie pour le partage de ce poids douloureux, je suis sensible à votre honnêteté. Vous n’étiez pas obligé…Je sais que mon Annabelle a arraché de nombreuses larmes à de nombreux lecteurs. Moi-même elle m’a fait pleuré derrière mon ordinateur quand j’ai couché son histoire sur le papier. Ce fut pour moi une rencontre inoubliable, celle de cette femme brisée sortie tout droit d’un de mes rêves et de l’écriture qu’elle a fait naitre en moi. J’ai été prise dans les mailles de ses filets et depuis de nombreuses héroïnes sont venues teintées mes nouvelles histoires.
      Je suis très flattée par vos mots, être l’écrivaine de l’année d’un lecteur comme vous, me laisse sans voix, sans mots ! Alors juste un grand Merci.
      Et merci aussi pour la poursuite de votre lecture d’une autre de mes histoires… On change de décor, et mon héroïne Armelle, a elle aussi des choses à nous raconter, qui sont pour certaines, à lire entre les lignes. J’aime l’enseignement qui se cache derrière les histoires de vies. Merci à votre fils pour cette commande pour vous.Vous me faites un bien beau cadeau. Des messages comme le vôtre sont précieux quand on est une « jeune » auteure comme moi.
      Je vous souhaite une belle découverte au travers de ce dernier livre et de très belles fêtes de fin d’année Dominique à vous et à votre famille.
      Au plaisir de vous lire…
      Bien à vous. Régine

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